Album du continent 1991, Autoscope, 1987.( De Gibraltar au Cap Nord.)

Autoscope, Alain Bergala, juin 1988.
La plupart des photographes se garent sur le bas côté de la route, sortent de leur voiture, cherchent la bonne place et cadrent soigneusement en évitant la voiture qui les a conduits dans ce paysage.
Ce sont les photographes de paysage.
Daniel Nouraud est un photographe de la sensation du paysage. S'y reconnaîtront tous ceux qui aiment les longs voyages en voiture où cette sensation est d'autant plus aiguë que le corps est engourdi par la position assise contrainte, et la vigilance ordinaire mobilisée par la conduite, d'autant plus précieuse qu'on ne peut le goûter que fugitivement ( il faut continuer à rouler talonné par les autres voitures) partiellement ( le pare brise ou la vitre latérale sont déja des cadres et des caches) et en accéléré ( des nuages arrivent deux fois plus vite à cause de la vitesse propre du véhicule, l'oiseau raye le paysage à la vitesse de l'éclair, les arbres défilent à grande allure).
Cette contrainte du corps, de l'axe de la vision, cette fugacité de la sensation, cette gêne et ce manque à voir, ce brouillage et ce tremblement permanent des lignes font de l'acte photographique un exercice d'où est exclue toute maîtrise raisonnée. Le photographe n'a d'autres recours que de s'abandonner à la sensation pure , nerveuse, préconsciente. Cette pratique périlleuse de la photographie sans les filets du calcul est impitoyable. Daniel Nouraud s'y expose à chaque image en toute humilité: ses photos sont la preuve que mieux qu'un cadreur ou un bon réalisateur de lignes et de formes, il est tout simplement un pur photographe.